Par Maelle.scrosati@clicaide.org
Le cercle vicieux de la dépression
Qui parmi vous n’a pas déjà vécu une dépression ou ne connaît pas quelqu’un qui en a vécu une? Peut-être même qu’à la lecture de ces lignes, vous vivez actuellement des moments difficiles.
Les taux de prévalence de la dépression sont parmi les plus élevés au Canada. La dépression se caractérise par plusieurs symptômes affectant le fonctionnement et l’humeur de la personne. Allant au-delà d’un simple sentiment de tristesse, la dépression inclut entre autres des difficultés de sommeil, une perte de motivation et de plaisir, des difficultés de concentration et de la rumination. Elle peut alors susciter un lot d’émotions négatives telles que la culpabilité et le désespoir. Ces symptômes influencent négativement de nombreuses sphères dans la vie de la personne, comme sa vie familiale, professionnelle et sociale.
Il n’est donc pas surprenant de voir que 62% à 76% des cas d’invalidité temporaire au Canada soient expliqués par la dépression (Dewa, Goering et E., 2000). En effet, la dépression consume la personne de toute son énergie, rongeant sa capacité d’étudier, de travailler ou de vaquer à ses occupations habituelles. Même la plus petite tâche apparaît comme une montagne. Par conséquent, la personne en dépression risque de négliger ses responsabilités et ses activités, ce qui a pour effet d’exacerber ses sentiments de culpabilité, de honte et d’échec.
De la dépression à l’inaction
En ce sens, les symptômes au cœur de la dépression peuvent facilement mener à la sédentarité, voire à l’inaction. Tel que mentionné précédemment, la dépression diminue l’intérêt pour les activités qui procurent du plaisir. Par ailleurs, les émotions négatives conduisent souvent à un repli sur soi et une sorte de passivité. Celles-ci grugent alors une grande partie des ressources énergétiques de la personne. Mis ensemble, ces éléments conduisent à l’isolement et à une apathie. Or, le fait de rester inactif peut maintenir la dépression, ou même aggraver ses symptômes.
Par exemple, la dépression peut diminuer grandement ton intérêt pour tes activités, donc tu t’y absentes de plus en plus. De plus, ton état de fatigue permanent te pousse à reporter ton ménage et à rester chez toi, puisque la simple idée de devoir te lever et t’habiller t’épuise.
Rester au lit à regarder Netflix devient donc ton activité de prédilection. De toute façon, ton médecin t’a dit que tu es en dépression, donc ça doit être normal de rester chez soi : tu es en quelque sorte malade. Cependant, tu te sens souvent coupable et faible de ne pas voir tes amis comme avant, lesquels savaient pourtant te mettre un petit sourire en coin. Les occasions de te confier et de te changer les idées diminuent considérablement et la tristesse t’envahit de plus en plus. Tu te sens mal de ne plus voir autant tes ami.es, mais rattraper le temps perdu apparaît comme une montagne. Tu ne sais trop comment tu justifies ton retrait ces derniers temps, de peur que ta gang ne comprenne pas ou te rejette.
En retour, ces émotions négatives et ton sentiment de dévalorisation te font encore plus éviter tes ami.e.s et les sorties. Plus tu te sens mal, plus tu te renfermes, mais plus tu te renfermes, plus tu te sens mal. De plus, ta liste de choses à faire ne cesse de s’allonger, ce qui pèse fort sur ta conscience. Tu as pris du retard dans tes cours et au boulot, et tu le sais. Plus tu vois ta liste de choses à faire s’alourdir, moins tu as envie de la faire.
Il ne s’agit ici que d’un exemple parmi tant d’autres, démontrant le cercle vicieux de la dépression, aussi appelé le cycle de l’apathie. La dépression peut effectivement être vue sous l’angle de la maladie. Or, adopter le rôle de malade comporte ses pièges. Pourquoi m’activer s’il est normal que je sois fatigué? Comment mentionné ci-haut, le retrait et l’inaction causés par la dépression sont en fait des réponses qui réduisent l’exposition aux expériences satisfaisantes. En effet, cela peut entraîner la personne à davantage s’isoler et éviter les situations qui causent du stress ou qui demandent de l’effort, ce qui peut augmenter la honte, le désespoir, la culpabilité et la rumination.
L’activation comportementale
Pour pallier ce cercle vicieux, les professionnels et les chercheurs s’entendent pour dire que l’activation comportementale demeure un traitement efficace pour traiter la dépression. La bonne nouvelle est que ces techniques peuvent être adaptées et pratiquées par tous.
L’activation comportementale était d’abord une composante de la thérapie cognitive comportementale (TCC). Depuis quelques années, elle a été développée dans le but de devenir un traitement à part entière. Elle a même été intégrée plus récemment au courant de troisième vague en psychologie, soit celui de la pleine conscience.
L’activation comportementale a pour but de contrer cette inaction en encourageant la reprise d’activités qui procurent du plaisir ou de la satisfaction, en programmant ces activités et en surveillant les différents comportements associés. Elle implique donc de participer à des activités et de s’établir des buts hiérarchisés. L’objectif ici n’est donc pas de performer dans les activités, mais bien d’y participer activement. Ces activités n’ont pas besoin d’être particulièrement originales, elles peuvent être sociales, sportives, artistiques, ou même représenter des activités de la vie quotidienne. L’aspect plaisant, la fierté et la satisfaction d’avoir participé à l’activité permettent entre autres de servir de renforcement positif. Ça encourage aussi la personne à s’engager dans son bien-être et de rendre son environnement social et physique plus positif. De plus, l’activation comportementale permet de limiter les effets négatifs de la procrastination qui peut elle aussi exacerber les émotions négatives. En ce sens, l’activation comportementale permet de nourrir les stratégies de gestion de problèmes ou de régulation des émotions qui sont plus bénéfiques à long terme.
En d’autres termes, cela fait vivre des situations qui ont plus de chance de générer du plaisir, détourne l’attention et les pensées pour éviter la rumination, et donne l’occasion d’extérioriser les émotions négatives de façon plus saine. Dans le cercle de l’apathie, l’activation comportementale permet de briser l’isolement et l’évitement. Par le fait même, briser ce cercle vicieux signifie gagner en quelques semaines aux niveaux de l’énergie et de l’humeur.
Pourquoi ne pas opter seulement pour de la médication?
La pharmacothérapie, qui est bien connue dans l’esprit collectif, est un traitement largement utilisé. Toutefois, celle-ci n’est pas toujours efficace selon la sévérité de la dépression. En effet, bien qu’efficaces pour la dépression majeure, les antidépresseurs ne seraient pas plus efficaces qu’un placebo pour quelqu’un vivant une dépression mineure. D’ailleurs, plusieurs chercheurs se sont penchés sur l’efficacité des traitements pharmacologiques en comparaison avec la psychothérapie. La psychothérapie serait davantage efficace pour traiter les symptômes dépressifs lorsque ceux-ci sont en deçà du seuil diagnostic. Dans tous les cas, l’ajout d’une composante psychologique au traitement de la dépression possède l’avantage de mieux prévenir les rechutes. Autrement dit, l’absence de traitement psychologique de la dépression augmente le risque d’en faire une seconde. Pour reprendre l’exemple de l’activation comportementale, elle aurait à elle seule une efficacité à long terme comparable à celle de la thérapie cognitive comportementale, car elle permet de développer des acquis. Cette approche de traitement a donc des effets durables.
Mais par où commencer?
Malgré les nombreux avantages qu’apporte l’augmentation du niveau d’activité, il peut être difficile de commencer. La raison est souvent que la personne déprimée a des pensées négatives qui nuisent à sa motivation, telles que « cela ne me plaira pas », « c’est trop dur » ou « j’échouerai encore une fois ». Fréquemment, l’erreur principale est de vouloir en faire trop, trop rapidement.
ll est reconnu que les gens souffrant de symptômes dépressifs ont une forte propension à la rumination et à l’autoculpabilité, marquées par des pensées orientées vers le passé. Ils ont également tendance à entrevoir un futur démuni d’espoir ou parfois, à anticiper des conséquences négatives, ce qui les projette alors dans le futur plutôt que dans l’instant présent.
Si ces objectifs sont trop ambitieux, la personne se sentira nécessairement déçue et donc encore plus déprimée. Il faut prévoir des activités qui correspondent au niveau de fonctionnement actuel de la personne : commencer petit et augmenter la cadence graduellement pour éventuellement pouvoir effectuer les tâches qui aujourd’hui semblent impossibles. Il est important de varier le choix de ses activités en ajoutant celles qui remonteront votre estime de soi. Par exemple, il peut s’agir de rembourser le solde de votre carte de crédit ou de repasser vos chemises. D’accomplir ces tâches vous permettra de vous sentir plus en contrôle de votre vie.
Qui bénéficie de l’activation comportementale?
Bien que l’activation comportementale ait été présentée jusqu’à maintenant comme un traitement de la dépression, l’activation comportementale peut également être bénéfique pour n’importe qui vivant des symptômes dépressifs ou anxieux : de la fatigue accrue, des problèmes de sommeil, une perte d’intérêt, de la tristesse, de l’anxiété, etc. Ces symptômes peuvent aussi être causés par d’autres troubles, mais résultent plus souvent qu’autrement en apathie et en retrait social. L’activation comportementale peut donc non seulement prévenir l’aggravation des symptômes, mais aussi les réduire considérablement. Bien que les résultats n’apparaissent pas du jour au lendemain, plusieurs en voient les bénéfices rapidement. Des professionnels de la santé, comme votre médecin, votre psychologue ou votre psychothérapeute, peuvent vous accompagner dans cette démarche.
Quelle sera ta façon à toi de briser ce cercle vicieux?
1 Blanchet, V. (2017). Activation comportementale pour le traitement de la dépression sévère : évaluation de l’efficacité thérapeutique et des processus de changement [Thèse doctorale, Université Laval]. https://corpus.ulaval.ca/jspui/bitstream/20.500.11794/30374/1/33825.pdf
2 Blanchet, V., & Provencher, M. D. (2020). Évaluation des effets de l’activation comportementale de groupe pour le traitement de la dépression sévère en milieu clinique. Santé mentale au Québec, 45(1), 11–30. https://doi.org/10.7202/1070239ar
3 Dondé, C., Moirand, R., & Carre, A. (2018). L’activation comportementale: Un outil simple et efficace dans le traitement de la dépression [Behavioral activation programs: A tool for treating depression efficiently]. L’Encéphale: Revue de psychiatrie clinique biologique et thérapeutique, 44(1), 59–66. https://doi-org/10.1016/j.encep.2017.02.006
4 Lee, J., Ford, C. G., McCluskey, D. L., Hopkins, P. D., McNeil, D. W., & Shook, N. J. (2021). Test de l’efficacité d’un bref traitement d’activation comportementale pour la dépression – révision : changements dans la dépression, l’anxiété, les attitudes dysfonctionnelles et la pleine conscience. Journal of Psychopathology and Behavioral Assessment. Publication en ligne anticipée. https://doi-org/10.1007/s10862-021-09938-4
5 Soucy Chartier, I., Blanchet, V., & Provencher, M. D. (2013). Activation comportementale et dépression : une approche de traitement contextuelle. Santé mentale au Québec, 38(2), 175–194. https://doi.org/10.7202/1023995ar
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